Nouvelle venue dans le PAF, le paysage audiophile francophone, la revue VUmètre débarque, avec une insolente bonne humeur, à un moment où tous avaient fini par désespérer de la viabilité de la presse écrite en Hi-Fi.
On disait la presse papier du secteur quasi-morte (ou en soins palliatifs, avec disparition inéluctable à court terme), et voilà qu'une bande de déglingués de la prospective économique nous flanque sous le nez -et avec impertinence- un N° 1 enthousiaste, militant, et jouisseur.
Qu'à cela ne tienne, remisons nos funestes analyses, voyons ce que ces audacieux entrepreneurs nous ont concocté, et profitons-en pour faire quelques remarques et contributions.
![IMG_3317]()
La revue est disponible à l'achat au numéro et par abonnement, via le site vumetre.com
Elle n'est pas disponible en kiosque ou maisons de la presse, pour éviter l'inutile et coûteux doublage de tirage imposé par l'organisme de messagerie.
Prise en main:
Le format est plus petit que d'ordinaire, genre Science et Vie, mais en plus épais et plus rigide, du coup plus pratique, et plus chic aussi. La couverture est soignée (avec à-plats différenciés, je connais pas le terme technique), l'objet donne une impression de luxe sans manières exagérées, dans la veine des revues de sujets d'agrément haut de gamme.
Au feuilletage, impression de qualité, la mise en page est soignée: on sent un saut qualitatif par rapport à celle de la revue Stéréo Prestige, pour donner un point de comparaison. On retrouve justement cette filiation éditoriale (Laurent Thorin a collaboré à la revue dans ses derniers temps d'existence), sur plusieurs aspects, avec plus d'aboutissement dans cette jeune pousse.
Les articles se suivent avec une impression de densité, sans temps morts, même avec les pubs qui dans d'autres revues allègent (parfois trop) le contenu.
Les sujets des articles sont variés, parfois surprenants pour une revue Hi-Fi. La taille des articles est aussi variée, de la page (voire la rubrique) à la triple double page.
Assez vite, en faisant tourner les pages, il saute aux yeux que nombre d'annonceurs feraient (feront) bien de soigner leurs en-quarts publicitaires, souvent vieillots, fouillis et bricolos (ah, l'idée fixe de vouloir caser le plus possible d'informations et d'images dans une annonce/pub, au détriment de la clarté et du plaisir de l'oeil). Un p'tit soin dans les visuels de la part des annonceurs, un coté un peu plus pro et sensible, seraient les bienvenus.
Les photos "propriétaires" de la revue, nombreuses (c'est inhabituel au genre en France) sont parfois prises avec des mises en scène décalées. Les photos générales des produits testés sont plus classiques (souvent fournies par les constructeurs), et ces dernières sont utiles au propos pour la partie descriptive technique proprement dite.
La taille de la police, assez petite, peut contrarier ou mettre en difficulté le lectorat déficient visuel, elle est cependant conforme aux revues de ce format (celle de Science et vie, par exemple -j'ai vérifié- est encore plus petite). A l'attention des lecteurs presbytes, un renforcement des forces de police pourrait être bienvenu.
Au sommaire
Pour ce 1° numéro, un mot d'accueil, puis un article d'introduction de Laurent Thorin, le rédacteur en chef.
13 bancs d'essai, des tests, 9 pages de news (appareils et magasins), plus des articles complets (dont un dossier sur les tubes), des chroniques, des rencontres, visites et interviews, 2 rubriques disques, on comprend pourquoi la revue est bimestrielle. Là encore, impression de densité, l'équipe semble prendre les devants, aller au delà de ce qui peut lui être proposé.
Les bancs d'essais:
Nombreux et variés. Les rédacteurs ne s'interdisent rien (même des produits en fioles, qu'ils soient technico-chimiques, ou spiritueux), du moment qu'il y a à trouver du plaisir ou de l'efficacité au bout.
![FullSizeRender]()
Sur certains bancs d'essais sont joints quelques graphiques de mesures. Intéressant, mais possiblement abscons pour le néophyte; pour en bénéficier à plein, il mériterait de proposer des informations, voire une formation au décryptage de ces graphes, obscurs au lecteur non averti, voire porteurs de mauvaises interprétations pour le lecteur insuffisamment informé de la chose technique. On salue l'existence de ces mesures, qui pour non exhaustives qu'elles soient, restent pertinentes aux lecteurs avertis. Les courbes Waterfall par exemple sont en mesure de révéler bien des choses sur le comportement et sur le rendu sonore de l'enceinte; quelques éléments explicatifs généraux nourriraient plus efficacement les commentaires, tant techniques que de retours sur le comportement sonore des appareils. Le travail des rédacteurs et les bancs d'essais n'en seraient que plus efficaces; il serait dommage de ne pas faire fructifier ces précieuses informations, qui par ailleurs ont nécessité temps et protocoles à être produites.
Pour la partie rédactionnelle, les appareils sont présentés avec pas mal d'informations, à priori fournies par les marques ou distributeurs; on a vite fait de s'apercevoir que ce n'est pas du verbiage marketing, mais des données qui parlent au rédacteurs, qui ont pris soin de compulser et de valider des informations pertinentes, avec une certaine rigueur et une solide connaissance du sujet pour certains. Pas des parlottes pseudo-techniciennes d'esbroufe, mais bien des mécanismes précis et cohérents qui participent à la spécificité de chacun des appareils.
Oh bien sûr, l'amateur de données techniques ultra complètes et densifiées, dédaignant les résultats et descriptions subjectifs d'écoute, restera largement sur sa faim. Mais on sait que ces données brutes des mesures forcément non exhaustives sont inévitablement simplificatrices, voire inductrices d'erreurs d'interprétations, dans l'infinie variété des combinaisons de facteurs à prendre en compte, et ne peuvent à elles seules caractériser à leur simple lecture et décryptage le comportement des appareils en régime musical varié. Dans chaque banc d'essai, la partie "le son" qu'a préféré mettre en avant l'équipe rédactionnelle parle bien, elle, du comportement en régime musical des appareils. Et pour ce que j'ai pu en voir, sur les appareils que je connais bien (notamment, dans ce n° 1, le convertisseur Meitner MA-1, et les électroniques Nano DAC et Nano Amplifier du constructeur français 3D Lab), aucune faute relevée (ce qui est une gageure, certains reviewers moins efficaces de certaines revues commettant régulièrement des contresens, passent à coté de limitations, ou de qualités spécifiques, font des erreurs d'associations et imputent à un appareil en test des soucis qui existent en fait dans les appareils d'accompagnement).
Faire un banc d'essai efficace et pertinent nécessite de l'expérience et de la rigueur, et une grande connaissance de l'ensemble des appareils utilisés pour le test (le système d'écoute, fort justement toujours indiqué et précisé dans chaque banc d'essai).
A noter que dans la revue Stéréo Prestige et Image, Patrick Vercher ne signalait jamais sur quel système était écouté l'appareil en test. 2 raisons valables à cette omission:
-les enceintes, totalement atypiques (c'est peu de le dire ! j'ai eu la chance et la curiosité de les voir à plusieurs reprises), qui n'auraient parlé à personne,
-et surtout l'extra-ordinaire faculté de Patrick Vercher à cerner le comportement d'un appareil sous tous ses aspects, grâce à ses connaissances techniques et son expérience d'écoute, qui en font à mes yeux (et à ceux de beaucoup de personnes, dont certains de nos plus fameux fabricants) la personne la plus compétente en France pour ce genre d'exercice. Qu'on se rassure, il semble que Laurent Thorin soit de cette trempe, et fasse partie de cette école, sans compter que Patrick Vercher passe quelquefois pour jeter oeil et oreille sur cette belle aventure, qui poursuit les siennes avec pas mal de choses en commun dans l'esprit.
Ici, on a donc mention systématique et complète des systèmes dans lesquels s'insèrent les appareils en test.
Des évaluations à fleuret moucheté, mais explicites et (discrètement) sans concessions
On pourra regretter l'absence apparente de mordant dans les écrits (on verra pourquoi seulement apparente): à la simple lecture au 1° degré, pas d'égratignures, pas de charges vengeresses, pas de dénonciations colériques, rageuses ou tapageuses, qui auraient fait le bonheur de certains lecteurs dans leur recherche d'absolu, avides de rapports tranchés et dénués de toute ambigüité, pointant de manière très différenciée points forts et grandes faiblesses, pourfendant les faiseurs et les escrocs, taillant en pièces les modèles hors sujet ou inadéquats. Ce n'est pas le cas, et ça ne pourra pas l'être. Pour tout un tas de raisons, légitimes, que je décris ici:
-tout d'abord, ne sont publiés en bancs d'essais que les appareils qui semblent dignes d'intérêt à l'équipe rédactionnelle, et qui ne souffrent pas de défauts rédhibitoires; Les propositions du marché sont quasi infinies, il est raisonnable et compréhensible de s'en tenir à ce qui marche bien. Quand un appareil passé au banc d'essai est raté, ou souffre de problèmes importants, l'équipe préfère passer son chemin, et ne pas publier les résultats (en recommandant au fabricant de revoir sa copie sur le point incriminé, dûment expertisé), plutôt que d'accabler encore plus le fabricant ou le distributeur par une mauvaise presse. Pour pister ceux là, il faudra trouver d'autres voies.
-j'avais posé la question à Jacques Vallienne, qui avant sa disparition prématurée (et regrettée), réalisait toutes les mesures chez Stéréo et Image, et une partie des banc d'essais avec Patrick Vercher (c'était d'ailleurs les mesures les plus poussées de la presse française, et une petite partie seulement était publiée): "pourquoi ne pas indiquer explicitement les limites des appareils" ? Sa réponse avait été très claire, et complète: "parce que ces limitations, mêmes légères, sont immédiatement lues et comprises comme des défauts majeurs, à tort. Par exemple: perso, j'aime bien les enceintes qui descendent bas. Certaines enceintes ne descendent pas assez loin à mon goût personnel, mais peuvent sans problème convenir à des personnes qui n'ont pas les mêmes attentes que moi, pas les mêmes écoutes, pas les mêmes musiques, ... Si j'écris expressément que ces enceintes ne vont pas au bout du grave, les lecteurs, comprendront, et pire, il se dira, avec le levier très amplificateur que constituent les forums: "cette enceinte n'a pas de grave". Involontairement, je tue un appareil pourtant bon par ailleurs, y compris auprès des personnes à qui il aurait pu parfaitement convenir. Je ne peux donc pas le dire comme ça (on le sait, on a essayé), je suis contraint de l'exprimer différemment, de manière plus subtile, par défaut. Le dire, sans le pointer expressément."
On va voir la technique un peu plus loin.
-malgré les demandes pressantes et les attentes de nombre de personnes lectrices, publier en clair les défauts mineurs et les limitations des appareils, voire pointer publiquement les produits ratés, est tout simplement suicidaire pour une revue, pour une raison économique simple: les revues ne peuvent actuellement vivre que par les annonceurs, le lectorat ne rapportant qu'une faible part des rentrées, et ne pouvant assurer à lui seul le financement d'un magazine. Les rédacteurs et responsables actuels le savent tous, ils ont cette expérience de bancs d'essais trop directs ayant eu des effets désastreux, malgré un travail rigoureux et des présentations réalistes.
Je ne peux qu'acquiescer à ce constat, touchant moi même la limite de l'exercice de manière de plus en plus marquée ces derniers temps: Enceintes et Musiques, via son blog, son forum et sa page Facebook, touche de plus en plus de monde, les informations et avis sont de plus en plus lus, et surveillés par les amateurs d'une part, et c'est tant mieux, mais aussi par la profession, qui commence à réagir avec de plus en plus de véhémence quand les choses lues ne plaisent pas, avec raison (erreur d 'évaluation ou de jugement, ou rédaction mal tournée), ou pas (les remarques sont justifiées).
Il faut donc faire autrement, sans toutefois vendre son âme au diable (si on a cette intégrité, ou ces priorités), tout en maintenant l'intérêt et la qualité des informations transmises au lecteur.
Apprenez à lire
Le sens réel des articles est invisible à bien des lecteurs de revues, lecteurs qui reprochent -parfois avec force- que "dans les magazines Hi-Fi, tout est toujours magnifique, jamais la moindre critique, pas d'éléments descriptifs sérieux. Les bancs d'essais sont interchangeables, on a l'impression d'éternels copiés-collés. Plus aucun intérêt à les lire les revues en France aujourd'hui"
A ceux qui ont cette opinion, permettez moi de vous le dire brutalement: vous ne savez pas lire !
Je rajoute illico, avant le déclenchement de votre ire: je ne vous en fais pas reproche: c'est juste que personne ne vous a appris à lire. Car oui, certaines revues contiennent des descriptions des limites et des défauts mineurs des appareils (les bonnes revues ne "publient" pas les bancs des appareils à gros défauts); la langue des revues Hi-Fi est particulière, il faut en connaître les règles sémantiques pour en tirer les informations pertinentes.
Malgré une apparence de perfection des matériels, les rédacteurs disent les caractéristiques assez précises des rendus et des comportements. Le lecteur n'est pas laissé seul et à poil en rase campagne: les descriptions circonstanciées du rendu sonore, et les graphiques fournis, peuvent permettre de retrouver certains éléments que les rédacteurs se sont résignés, pour les raisons invoquées, à ne pas mettre trop en avant. Il faut reconnaître et convenir qu'il faut utiliser des grilles de lecture, pour retrouver de manière lisible quelques éventuelles limitations, ou des typologies sonores marquées et marquantes, en tout cas utiles au lecteur pour orienter ses choix, et l'inciter à pousser plus avant -ou non- son intérêt pour tel ou tel appareil.
Et on va vous aider à savoir lire et dénicher ces précieuses informations, "encapsulées" à votre intention dans des textes plutôt indifférenciés à première vue, mais en réalité nuancés et explicites dans leur sens profond, qu'on va vous aider à extraire.
Lexique à l'usage de l'amateur de revues Hi-Fi
L'exercice est simple: vous former à la sémantique des revues Hi-Fi, vous apprendre à trouver le sens, les informations réelles contenues dans les textes, pour que vous puissiez, de manière autonome, puiser dans les bancs d'essai toutes les informations réellement pertinentes que le rédacteur a su insérer dans un texte qui ne fâche personne vu de l'extérieur. Oui, c'est vicieux, mais c'est tout ce qui a été trouvé pour résoudre la problématique, et si vous souhaitez en tirer quelque avantage, et récupérer les informations qui vous sont destinées, il faut en passer par là. Mais vous allez voir, l'exercice est facile, ça peut vite devenir un jeu.
C'est parti: je pioche quelques expression apparemment anodines, mais qui sont les clés des infos à récupérer: Extrait de texte en langage de revue -> traduction en langage Hi-Fi
-... mais jamais il n'agresse ... et le contrôle est toujours de mise. C'est une version feutrée de la transparence -> haut de spectre écourté, peu ou pas de micro-détails
-... transducteurs fortement motorisés ... il est donc important de les contrôler au mieux ... le choix de l'amplification s'avèrera crucial -> cette enceinte est une enclume, il faut un ampli "velu" pour la remuer
Voyez, c'est pas compliqué. il faut contrecarrer la litote, retrouver la vraie échelle des mentions importantes. On continue:
-...privilégie la souplesse et la fluidité -> et du coup pas la rapidité des attaques et la richesse et la précision des extinctions. Pré-analyse confirmée par les propos qui suivent: une certaine forme d'onctuosité particulièrement agréable ... infime trace de chaleur sur les voix féminines (on notera le "infime" de précaution !). C'est sûr, c'est pas l'appareil qui vous arrachera les oreilles par de la précision au scalpel ou des sons aigrillards; mais vous risquez de perdre des détails au passage, et les tessitures exactes des voix, avec simplification des timbres. Un confort général d'écoute, au prix de la perte de petites information (ce qui définit assez bien le son communément dit "anglais")
-... ne sont pas aussi exigeantes que des monitors pro. On prend beaucoup de plaisir à écouter ... -> même limonade: écourtement probable des détails et de la rapidité, au profit d'un confort général d'écoute
-... les voix ont un joli coté cuivré très naturel -> petite coloration perceptible
-...timbres naturels, subtilement ronds, mais jamais surchargés -> voir ci dessus, vous devez commencer à comprendre
Les mentions se font aussi (2° technique) par défaut. Un compte rendu sonore qui insiste sur la densité du médium et la très bonne tenue du grave, mais ne fait nulle mention du haut du spectre peut amener à envisager des aigus (et des détails) en retrait. Rien vu de ce type dans la revue, mais soyez au courant de la technique, pour la reconnaître quand elle est utilisée.
Voilà, vous savez à présent comme "lire" un banc d'essai Hi-Fi.
Vous pouvez vous exercer sur des anciennes revues à bons rédacteurs qui savent de quoi ils parlent, vous retrouverez assez vite cette syntaxe, et la sémantique attachée.
Si le testeur-rédacteur est compétent (et ils le sont chez VUmètre), vous aurez les évaluations telles que transcrites, avec une vraie expertise sur les appareils, qui disent des choses précises se rapportant à ces appareils spécifiquement, et avec les graphes qui donnent -quand vous savez/saurez les lire- une idée assez nette de ce à quoi vous pouvez vous attendre avec les appareils.
Nous avons eu le plaisir d'échanger longuement avec Laurent Thorin, et d'autres membres de l'équipe éditoriale. Au delà des anecdotes - parfois savoureuses, souvent éclairantes - dont nous avons bénéficié, nous avons bien perçu l'envie et le plaisir évident de faire une revue agréable, et experte, élargissant le regard et les considérations, avec une attention envers les bons produits et les acteurs qui comptent, qu'ils entendent soutenir, façon Patrick Vercher.
Cette nouvelle revue VUmètre présente des caractères novateurs, une certaine jeunesse de ton dans la présentation, une vue décomplexée, mais soucieuse de qualité.
Sur la couverture du N° 1, sous l'annonce d'une enceinte, la revue titre "luxe, calme et volupté". Je pense qu'on peut ainsi la caractériser, avec en plus le bénéfice d'un enthousiasme non feint qui anime toute l'équipe.
Les prochains numéros devraient proposer quelques surprises.
Cette nouvelle revue concerne aussi bien les amateurs de Hi-Fi, que les revendeurs et les fabricants, c'est pourquoi Enceintes et Musique va suivre et accompagner son développement, et recommande sa lecture aux personnes intéressées par la découverte des nouveaux matériels Hi-Fi, et autres sujets connexes.
Prochain numéro: novembre-décembre.